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TreeWater, un traitement miracle pour les eaux polluées

Son procédé d'oxydation avancé s'avère redoutable contre les polluants, tout en étant moins cher et plus écologique que les autres systèmes filtrants. Surtout, il peut ouvrir la voie à la réutilisation des eaux usées, notamment dans l'industrie.

Lorsqu'il s'agit de pollution de l'eau, l'approfondissement des recherches et des connaissances débouche très rarement sur de bonnes nouvelles. Une formule simple résume à merveille la situation : plus on cherche, plus on trouve. En élargissant le spectre des résidus de pesticides étudiés, l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a ainsi découvert que 11,5 millions de Français avaient bu au moins une fois une eau non conforme dans l'année 2021, soit trois fois plus qu'en 2020. Et que dire des récentes découvertes, au sein de la plus précieuse des ressources, de PFAS, ces composants perfluorés massivement utilisés dans l'industrie, nocifs pour la santé et extrêmement résilients au point d'avoir été surnommés « polluants éternels » ?

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Or, plus l'eau est polluée, notamment par les pesticides, plus elle est difficile à traiter et à réutiliser, à l'heure où les pénuries devraient augmenter de 50 % d'ici la fin de la décennie, selon la Commission européenne. « Les stations d'épuration classiques peinent à traiter tous ces micropolluants, fait savoir Marc-Emmanuel Bouchard, ancien directeur de la division de traitement de l'eau au sein du groupe Comap. Il faut développer des technologies pour détruire ces éléments nocifs. »
Les procédés les plus efficaces aujourd'hui pour traiter les micropolluants, filtres au charbon actif ou membranes d'osmose inverse, ont pour principal défaut de bloquer et stocker les polluants, non de les éliminer. Ceux-ci doivent donc faire l'objet d'un traitement spécial, incinération ou autre, et les membranes sont souvent nettoyées à grand renfort de produits chimiques. Sans compter que, dans le cas de l'osmose inverse, l'opération consomme énormément d'énergie. Rien d'une panacée écologique donc. Fort heureusement, une nouvelle alternative prometteuse semble émerger pour le traitement de l'eau.

Eau oxygénée + lampe à UV = oxydation avancée

C'est au sein du groupe Comap que Marc-Emmanuel Bouchard fait la rencontre de Bruno Cédat, ingénieur doctorant chargé de déployer au sein de l'entreprise la technologie de l'oxydation avancée, à laquelle il a consacré sa thèse. « Les résultats étaient très encourageants, mais une restructuration de l'entreprise a conduit à l'arrêt dece projet », regrette Marc-Emmanuel Bouchard. Persuadés qu'ils tiennent quelque chose, les deux hommes quittent le groupe pour poursuivre leur recherche sur l'oxydation avancée. Afin de la commercialiser, ils fondent en 2017 la société TreeWater.

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A première vue, la technologie paraît simple. L'entreprise a mis au point un réacteur, par lequel passe l'eau à traiter, combinant deux éléments : des lampes à UV, dont l'usage est déjà bien connu dans la désinfection de l'eau, et du peroxyde d'hydrogène, plus connu sous le nom d'eau oxygénée. Outre leur fonction de purification, les rayons des lampes transforment également le peroxyde d'hydrogène en radicaux hydroxyles, un oxydant très réactif qui s'attaque à toutes les molécules organiques passant à portée. L'opération est donc extrêmement efficace pour détruire de nombreux polluants : détergents, pesticides, virus, bactéries,même les microplastiques. « En fonction des polluants traités, il faut adapter les paramétrages entre la dose d'irradiation des lampes et la quantité de peroxyde d'hydrogène utilisée », explique Marc-Emmanuel Bouchard. 

Les métaux, en revanche, échappent à son pouvoir. Mais, si le flux d'eau à traiter en contient, le réacteur de TreeWater peut être combiné avec d'autres filtres classiques efficaces dans le traitement de la pollution non organique, osmose inverse ou charbon actif. Avec cette technologie, la société vise d'abord l'industrie, grande utilisatrice d'eau et importante pourvoyeuse de pollution. Plus tard, le procédé pourrait être installé dans les stations d'épuration ou même utilisé pour dépolluer certaines nappes phréatiques.

Vers le recyclage des eaux dans l'industrie

La technologie a ainsi suscité l'intérêt de plusieurs industriels issus de secteurs aussi variés que le papier, le textile, la chimie et la pharmacie, et elle a déjà été déployée sur plus d'une dizaine de sites. « L'avantage majeur de notre processus est qu'il détruit les polluants, il ne fait pas que les stocker, assure Marc-Emmanuel Bouchard.
En outre, il n'utilise que très peu de produits chimiques et ne présente aucun danger pour l'environnement. Le peroxyde d'hydrogène est en grande partie consommé lors de l'opération, et ce qu'il en reste a une durée de vie très courte. »
Plus important encore, l'oxydation avancée permet d'importantes économies pécuniaire et énergétique. Ainsi, selon la nature des polluants, le taux de contamination et l'importance du flux d'eau à traiter, le processus est deux à trois fois moins énergivore que l'osmose inverse. De même, il peut se révéler deux fois moins cher sur un petit flux, l'économie grimpant exponentiellement selon l'importance du projet. De quoi séduireles industriels, d'autant que le réacteur prend moins de place que les processus defiltration classique.

Enfin et surtout, la technologie ouvre la voie au recyclage de l'eau dans l'industrie. Une fois la ressource traitée, l'industriel peut ainsi la réutiliser sans risque pour le nettoyage des machines ou même comme ingrédient, tant l'efficacité de l'oxydation avancée sur les polluants est grande.
« Théoriquement, nous pourrions même rendre l'eau pure à 100 %, mais cela serait plus cher, indique le PDG de TreeWater. Nous la traitons en fonction des besoins de l'industriel. Cependant, en France, l'eau brute est à environ 3,50 euros le mètre cube contre 6 euros environ pour l'eau recyclée, ce qui n'incite pas au recyclage. Il faudrait une décision politique pour changer cela. » Mais le prix reste toujours plus attractif que le coût d'incinération des polluants, estimé entre 50 euros et 400 euros le mètre cube.

Blanchisserie et technologies de rupture

L'entreprise, en tout cas, multiplie les initiatives. Lauréate du projet Life Recyclo financé par l'Union européenne, elle s'est vue attribuer 1,5 million d'euros pour tester sa technologie dans trois blanchisseries française, luxembourgeoise et espagnole, afin de limiter à la fois leur consommation en eau et leur rejet de polluants. Le prototype, installé récemment dans la blanchisserie espagnole permettra ainsi la réutilisation de la ressource à hauteur de 50 % à 80 % des besoins - une promesse, à l'heure où les 11.000 blanchisseries européennes consomment chaque année 42 millions de mètres cubes d'eau.
Mais là encore, la réglementation en France ne semble pas à la hauteur des enjeux. « Un décret interdit encore la réutilisation des eaux usées pour les produits en contact avec la peau », soupire Marc-Emmanuel Bouchard. Une raison qui peut expliquer les mauvais résultats du pays en matière de recyclage. D'après Water Reuse Europe, le taux de réutilisation des eaux usées en 2020 était de 8 % en Italie, 14 % en Espagne et… 1 % pour la France. A comparer également avec Israël, qui recycle 87 % de sa ressource !

En attendant une évolution législative, TreeWater poursuit son travail de recherche autour de l'oxydation avancée. L'entreprise de 15 salariés développe, notamment grâce aux financements de Bpifrance et de France Relance, deux projets. Le premier vise àl'élimination des PFAS grâce à l'utilisation de persulfates comme oxydants, afin de sonner le glas de ces polluants éternels.
Le second vise à créer une technologie de rupture avec la mise au point d'un procédé d'électro-oxydation capable de se substituer à tous les systèmes de traitement et de filtrage existants, à des coûts 20 à 25 moins élevés que les opérations d'électro-oxydations actuelles. Ce système, combinant l'oxydation avancée et des électrodes en rotation, peut détruire la plupart des polluants. Baptisée ElectRotate, la technologie a ainsi reçu un prix lors du concours i-Nov de Bpifrance. Ces deux projets devraient déboucher sur une commercialisation à l'horizon 2025-2026 et faire renaître l'espoir d'une gestion durable de notre ressource en eau.

Retrouvez l'article de Pierre Fortin sur le site web des Echos.

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